Interview: G. Zimmer (Die Linke, présidente du groupe GUE-NGL): en Europe, « l’objectif est d’en finir avec l’austérité dans les mois à venir »

Voix qu’on entend trop peu dans les médias européens, celle du groupe européen de gauche  GUE-NGL (regroupant communistes, socialistes radicaux ou ecologistes anti capitalistes). 

Sa présidente revient sur l’élection du gouvernement Tsipras (Syriza fait partie du groupe GUE), le rôle des  gouvernements allemand et français ou encore la poliique intérieure allemande 

——————————–

Interview: Mediapart

Allemande native de Berlin-Est, Gabriele Zimmer est eurodéputée membre de Die Linke, le parti frère du Front de gauche outre-Rhin, dirige, au parlement européen, le groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE, 52 députés, où l’on retrouve les élus grecs de Syriza, espagnols de Podemos et Izquierda Unida, français du Front de gauche, etc.). Alors qu’un nouvel Eurogroupe dominé par le dossier grec se tenait ce lundi, elle revient, dans un entretien à Mediapart, sur la dynamique ouverte par Syriza et la stratégie des semaines à venir.

Que retenez-vous des premières semaines de Syriza au pouvoir en Grèce ? 

Le plus important, c’est qu’ils sont restés unis, et se sont déplacés partout en Europe pour trouver des alliés dans leur combat contre l’austérité. C’était décisif d’expliquer aux citoyens d’autres États membres de l’UE qu’ils n’acceptent plus que des gouvernements leur imposent la politique qu’ils doivent mener. C’est ce que leur ont demandé leurs électeurs et c’est ce qu’ils vont faire. Ils ont gagné de l’espace, et du temps, en vue des prochaines étapes, qui doivent permettre d’en finir avec l’austérité, et trouver d’autres sorties de crise, au sein de l’UE et au sein de la zone euro.

Qu’avez-vous pensé de l’accord conclu avec l’Eurogroupe, qui reconduit pour quatre mois l’essentiel des mesures de l’ex-Troïka ? 

La question n’est pas de savoir si c’est un bon accord ou pas. Les conditions préalables à l’accord étaient vraiment dures. Ce qu’il était possible de gagner, ils l’ont emporté. Pendant la campagne, il était déjà clair que le nouvel exécutif ne pourrait pas en finir immédiatement avec ce genre de politiques. Il était évident qu’il y aurait des conditions de la part des Européens. Mais l’objectif est d’en finir avec l’austérité dans les mois à venir. Nous avons besoin de temps, de compréhension, de solidarité.

Mais qui est prêt, selon vous, à assouplir ses positions, dans les mois à venir ? Berlin, Madrid, les sociaux-démocrates, François Hollande ? 

À l’international, le consensus est de plus en plus net pour dire que ces politiques d’austérité sont un échec, et qu’il ne faut pas les prolonger. Donc Syriza doit chercher des soutiens à l’international. Et puis il y a les mouvements sociaux, comme Blockupy, qui doivent rappeler aux autres gouvernements en Europe que Syriza n’est pas seul. Ce n’est pas la simple demande d’un gouvernement « sans expérience »: une majorité de citoyens en Europe sont convaincus que cette politique ne marche pas. Angela Merkel et Wolfgang Schäuble (chancelière et ministre des finances allemands – ndlr) ne bougeront que s’ils comprennent qu’ils ne pourront pas gagner les prochaines élections générales en Allemagne sur ce genre de position. La gauche alternative allemande doit donc faire davantage pression dans le débat allemand.

Vu de l’étranger, on a l’impression que les élections régionales à Hambourg début février – où la CDU a fait un très mauvais score – ont encore renforcé l’intransigeance de Berlin. Qu’en pensez-vous ? 

Peut-être. Je n’en suis pas certaine. Il faudra voir si la tendance à la baisse de la CDU, observée à Hambourg, se confirme ailleurs. Mais pour l’instant, les sondages au niveau national laissent entendre que Hambourg est un cas très particulier.

Et François Hollande ?

Il devrait faire davantage. C’est dans son propre intérêt ! À peine investi en tant que président en 2012, il était venu au parlement européen et avait expliqué à quel point il était nécessaire d’en finir avec cette pression budgétaire sur les gouvernements, à quel point il fallait investir davantage. Mais depuis, il a abandonné. S’il renouait avec sa stratégie de départ, ce serait très intéressant. Il ne gagnera pas les prochaines élections avec le genre de discours et de comportement qu’il tient aujourd’hui.

Quant à Jean-Claude Juncker, le président de la commission, il exhorte Alexis Tsipras à expliquer aux Grecs qu’il ne pourra pas tenir toutes ses promesses. D’après lui, les élections ne peuvent pas changer les traités. Que lui répondez-vous ? 

Jean-Claude Juncker joue à un jeu très particulier. D’un côté, il est pris dans un jeu avec les conservateurs européens, à commencer par Angela Merkel, sur les grands axes des politiques économiques en Europe. Mais d’un autre côté, depuis le début de sa présidence de la commission, il explique qu’il faut changer les choses, et reconnaît lui-même que les choses ne marchent pas. Il est prisonnier de sa propre politique néolibérale. Il redoute de ne pas trouver le soutien politique, dans sa famille, pour changer la donne en profondeur. Donc il est coincé. Il répète qu’il n’y a pas d’alternative à ses yeux, et que l’on ne peut que changer de petites choses ici ou là. Mais on doit faire davantage, imposer d’autres priorités. Si l’UE veut un avenir, et il faut que l’UE ait un avenir, il est nécessaire de mieux écouter ce que veulent les gens, ce pour quoi ils votent.

Si les traités sont à ce point mal écrits, pourquoi ne pas en sortir ? Le débat sur la sortie de la Grèce de la zone euro continue de battre son plein. Au sein du groupe que vous dirigez au parlement européen, les avis sont partagés. 

Ce n’est pas une discussion utile à mes yeux. Je l’ai dit aussi en interne, à des partis membres de la GUE, qui plaident pour un Grexit. Si la Grèce sort de la zone euro, tout le monde sera perdant. Les États membres de la zone euro ne récupéreront pas leurs prêts. Et la Grèce aura une nouvelle monnaie, mais ça ne l’aidera pas à relancer son économie. 

L’alliance de Syriza avec les Grecs indépendants, un parti de droite nationaliste grec, pour former un gouvernement, a été très commentée. Qu’en avez-vous pensé ?

Cette coalition a effectivement provoqué beaucoup de débats, y compris en interne au parlement. J’avoue que j’ai été un peu surprise. Mais pas totalement. Nous savions, dès la fin de la campagne, que la majorité absolue serait très difficile à atteindre pour Syriza. Ils ne voulaient pas des communistes du KKE (qui sont membres de la GUE – ndlr). Ils ne voulaient pas non plus de partis ayant déjà voté par le passé des mesures de la Troïka au parlement. Donc ANEL est vite devenu leur seul partenaire possible.

Certains ont jugé que c’était un peu comme si Die Linke s’alliait avec le parti anti-euro AfD… Cette comparaison est-elle pertinente à vos yeux ? 

Il n’est pas possible de prendre le système de partis allemand comme un modèle pour la Grèce, et inversement, dans les discussions que nous avons. C’est difficile de comparer des partis allemands et grecs. Je ne suis pas un soutien d’ANEL. Et j’espère que Syriza ne va pas trop coopérer avec eux. Pour moi, l’important, c’est que Syriza s’assure qu’ANEL n’aura aucune marge de manœuvre sur certains dossiers : la politique migratoire, la politique intérieure, le renforcement de la démocratie, la coopération avec la police et l’armée. Certes, ils ont obtenu le ministère de l’armée. Mais ce que je veux dire, c’est qu’il faut que Syriza soit en capacité, à chaque fois, de les contrôler sur ces sujets. 

Et l’absence de femmes au gouvernement à Athènes ?

C’est un problème. Nous ne comprenons pas pourquoi il n’y a pas au moins une femme ministre. Ce sera l’un des grands défis, pour Syriza, de savoir réagir à ces critiques. Nous sommes de leur côté, bien sûr, mais cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas critiquer nos amis, quand on juge que c’est nécessaire. Le soviétisme est derrière nous !

Laisser un commentaire